La question de la compétence territoriale des tribunaux criminels représente un pilier fondamental de l’organisation judiciaire française. Lorsqu’une juridiction statue alors qu’elle n’est pas territorialement compétente, les conséquences peuvent être considérables tant pour les justiciables que pour la validité de la procédure. Ce phénomène, loin d’être anecdotique, soulève des interrogations profondes sur les principes directeurs du procès pénal, notamment le droit à un tribunal établi par la loi et l’équité de la justice. Entre règles procédurales strictes et exceptions jurisprudentielles, le contentieux de l’incompétence territoriale des tribunaux criminels constitue un domaine technique où s’entrelacent des enjeux pratiques et des questions théoriques fondamentales sur l’administration de la justice pénale.
Les fondements juridiques de la compétence territoriale en matière criminelle
La compétence territoriale des juridictions criminelles s’inscrit dans un cadre normatif précis, défini principalement par le Code de procédure pénale. Le principe directeur, énoncé à l’article 43, établit que le tribunal compétent est celui du lieu de l’infraction, du domicile du prévenu ou du lieu d’arrestation. Cette règle, en apparence simple, vise à garantir une proximité entre la justice et les justiciables, tout en facilitant l’administration de la preuve.
La détermination de la compétence territoriale repose sur plusieurs critères alternatifs. Le critère principal demeure le lieu de commission de l’infraction, conformément à l’article 382 du Code de procédure pénale. Cette règle reflète une logique probatoire évidente : les éléments matériels de l’infraction sont généralement plus facilement accessibles à proximité du lieu où elle a été commise. Les critères subsidiaires interviennent lorsque le lieu de l’infraction est indéterminé ou difficile à établir.
Pour les crimes spécifiquement, la compétence territoriale est attribuée à la cour d’assises du département où l’infraction a été commise. Cette règle s’accompagne de mécanismes particuliers pour les infractions complexes :
- Pour les infractions continues ou d’habitude, tout lieu où s’est manifestée l’infraction peut fonder la compétence
- Pour les infractions connexes, un même tribunal peut connaître de l’ensemble des faits
- Pour les complices, le tribunal compétent pour juger l’auteur principal peut étendre sa compétence
Le législateur a prévu des règles spécifiques pour certaines infractions. Ainsi, en matière de criminalité organisée, l’article 706-75 du Code de procédure pénale instaure des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) dotées d’une compétence territoriale étendue. De même, le Parquet National Financier ou le Parquet National Antiterroriste disposent d’une compétence nationale pour les infractions relevant de leur domaine.
La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement précisé ces règles. Dans un arrêt du 4 janvier 2005, la chambre criminelle a rappelé que « la compétence territoriale d’une juridiction répressive s’apprécie non seulement au regard du lieu de commission des faits, mais aussi de celui du domicile des personnes mises en cause ou du lieu de leur arrestation ». Cette interprétation extensive vise à prévenir les situations d’impunité qui pourraient résulter d’une application trop rigide des règles de compétence.
Le droit européen influence cette matière, la Cour européenne des droits de l’homme considérant que le droit à un tribunal établi par la loi, garanti par l’article 6§1 de la Convention, implique des règles de compétence territoriale prévisibles et accessibles. Cette exigence de prévisibilité constitue une garantie fondamentale contre l’arbitraire dans l’administration de la justice pénale.
La procédure de contestation de l’incompétence territoriale
La contestation de la compétence territoriale d’un tribunal criminel obéit à un formalisme strict et s’inscrit dans une temporalité précise de la procédure pénale. Cette contestation prend la forme d’une exception d’incompétence, moyen de défense procédural que les parties peuvent soulever sous certaines conditions.
L’exception d’incompétence territoriale doit être soulevée in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond, conformément à l’article 385 du Code de procédure pénale. Cette exigence temporelle traduit la volonté du législateur d’éviter les manœuvres dilatoires qui pourraient entraver le bon déroulement du procès pénal. La Cour de cassation maintient une interprétation stricte de cette règle, comme l’illustre son arrêt du 27 février 2018, où elle a jugé irrecevable une exception soulevée après les réquisitions du ministère public sur le fond.
Modalités pratiques de la contestation
Pour contester valablement la compétence territoriale d’un tribunal criminel, le requérant doit respecter plusieurs formalités :
- Présenter une requête écrite et motivée
- Indiquer précisément le tribunal estimé compétent
- Justifier des éléments factuels fondant cette incompétence
La chambre de l’instruction joue un rôle crucial dans ce contentieux. Saisie d’une contestation relative à la compétence territoriale, elle statue par arrêt motivé, après avoir recueilli les observations du ministère public et des parties. Sa décision peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, mais celui-ci n’est pas suspensif de la procédure, sauf décision contraire de la chambre criminelle.
Dans la phase préparatoire au procès d’assises, la contestation de la compétence territoriale peut intervenir lors de l’instruction. L’article 186 du Code de procédure pénale autorise l’appel immédiat des ordonnances du juge d’instruction statuant sur sa compétence. Cette voie de recours permet de purger rapidement les contestations relatives à la compétence territoriale, évitant ainsi qu’elles ne perturbent ultérieurement le déroulement du procès criminel.
Devant la cour d’assises elle-même, la question de la compétence territoriale peut être soulevée lors des questions préalables, avant l’interrogatoire de l’accusé sur le fond. L’article 316 du Code de procédure pénale prévoit que la cour statue immédiatement sur ces exceptions, par arrêt motivé. Cette décision peut être contestée par la voie du pourvoi en cassation, mais uniquement avec l’arrêt sur le fond.
Le ministère public dispose également de prérogatives particulières en matière de compétence territoriale. Le procureur général peut, par voie de requête, demander à la chambre criminelle de la Cour de cassation de désigner la juridiction compétente, notamment en cas de conflit entre plusieurs juridictions ou de risque de trouble à l’ordre public. Cette procédure, prévue par l’article 665 du Code de procédure pénale, constitue un mécanisme régulateur permettant de résoudre les difficultés liées à la détermination de la compétence territoriale dans les affaires criminelles complexes ou sensibles.
Les conséquences juridiques d’un jugement rendu par un tribunal territorialement incompétent
Lorsqu’un tribunal criminel statue alors qu’il n’est pas territorialement compétent, cette situation engendre des répercussions juridiques variables selon plusieurs facteurs : le moment où l’incompétence est constatée, la nature de l’incompétence et l’existence ou non d’un préjudice pour les parties.
La nullité constitue la sanction traditionnelle de l’incompétence territoriale. Toutefois, cette nullité n’est pas automatique et son régime juridique a été considérablement assoupli par la jurisprudence. La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 4 juin 2008, a établi que « l’incompétence territoriale ne constitue pas une cause de nullité des actes accomplis antérieurement par la juridiction initialement saisie, dès lors que la compétence territoriale n’est pas d’ordre public ». Cette position jurisprudentielle témoigne d’une approche pragmatique visant à préserver l’efficacité de la justice pénale.
Le Code de procédure pénale, en son article 385-1, précise que les exceptions tirées de la nullité de la procédure antérieure à la comparution devant le tribunal correctionnel doivent être présentées avant toute défense au fond. Cette règle s’applique par extension aux procédures criminelles et illustre la volonté du législateur de purger rapidement les vices de procédure.
Distinction entre incompétence absolue et relative
La doctrine et la jurisprudence opèrent une distinction fondamentale entre :
- L’incompétence absolue (ratione materiae) : lorsqu’une juridiction statue hors de son domaine de compétence matérielle
- L’incompétence relative (ratione loci) : lorsqu’une juridiction de même nature statue hors de son ressort territorial
L’incompétence territoriale relève généralement de la seconde catégorie et n’entraîne pas les mêmes conséquences radicales que l’incompétence matérielle. Ainsi, la chambre criminelle a jugé, dans un arrêt du 11 juillet 2017, que « l’exception d’incompétence territoriale ne peut être accueillie que s’il est établi que cette incompétence cause un préjudice aux droits de la défense ».
Lorsque l’incompétence territoriale est constatée par la juridiction elle-même, l’article 400 du Code de procédure pénale lui permet de renvoyer l’affaire devant la juridiction compétente. Cette décision de renvoi n’annule pas nécessairement les actes accomplis antérieurement. Les actes d’instruction et de poursuite demeurent valables et n’ont pas à être réitérés. Cette solution, consacrée par l’arrêt de la chambre criminelle du 24 juin 2015, s’inscrit dans une logique d’économie procédurale.
La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de se prononcer sur les questions d’incompétence territoriale au regard du droit à un procès équitable. Dans l’arrêt Drozd et Janousek c. France et Espagne du 26 juin 1992, elle a considéré que l’attribution de compétence à une juridiction plutôt qu’à une autre ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, à condition que cette attribution repose sur des critères objectifs et raisonnables.
En pratique, les parties civiles et les accusés doivent être attentifs aux règles de compétence territoriale, mais la jurisprudence tend à limiter les conséquences d’une erreur dans la détermination du tribunal compétent, sauf si cette erreur porte atteinte aux droits fondamentaux des parties ou aux principes directeurs du procès pénal.
L’évolution jurisprudentielle et les tempéraments au principe d’incompétence territoriale
La rigueur initiale attachée aux règles de compétence territoriale en matière criminelle a progressivement fait place à une approche plus souple, fruit d’une évolution jurisprudentielle significative. Cette transformation traduit une préoccupation constante : équilibrer les exigences formelles de la procédure avec l’impératif d’efficacité de la justice pénale.
La Cour de cassation a joué un rôle déterminant dans cette évolution, particulièrement à travers plusieurs arrêts fondateurs. Dans une décision du 4 mai 1994, la chambre criminelle a posé le principe selon lequel « l’exception d’incompétence territoriale ne peut être accueillie que si le demandeur justifie d’un grief résultant de l’attribution de compétence à la juridiction saisie ». Cette exigence d’un préjudice démontré constitue une innovation majeure, introduisant une dimension fonctionnelle dans l’appréciation des règles de compétence.
Cette tendance s’est confirmée et amplifiée avec l’arrêt du 31 janvier 2006, où la chambre criminelle a précisé que « l’incompétence territoriale d’une juridiction répressive ne peut être prononcée que s’il est établi que cette incompétence fait obstacle à la manifestation de la vérité ou porte atteinte aux droits de la défense ». Cette formulation est révélatrice d’une approche téléologique des règles de procédure, désormais évaluées à l’aune de leur finalité protectrice.
La théorie de la bonne administration de la justice
Parallèlement, la jurisprudence a développé la théorie de la bonne administration de la justice comme fondement de dérogations aux règles strictes de compétence territoriale. Cette théorie permet de maintenir la compétence d’une juridiction initialement saisie, même territorialement incompétente, lorsque des considérations pratiques le justifient :
- Existence de liens étroits entre l’affaire et le ressort du tribunal saisi
- Économie procédurale significative
- Meilleure appréhension du contexte factuel par la juridiction saisie
La connexité entre infractions a constitué un autre vecteur d’assouplissement des règles de compétence territoriale. L’article 203 du Code de procédure pénale permet à une juridiction de connaître d’infractions connexes commises hors de son ressort. La jurisprudence a interprété largement cette notion, considérant comme connexes des infractions présentant des liens de temps, de lieu ou de motivation, facilitant ainsi le regroupement de procédures devant une même juridiction.
Un tournant majeur s’est opéré avec l’arrêt de la chambre criminelle du 19 octobre 2010, qui a consacré le principe selon lequel « le moyen tiré de l’incompétence territoriale ne peut être accueilli lorsqu’il est invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation ». Cette solution, inspirée par des considérations d’efficacité procédurale, limite considérablement la portée pratique des contestations fondées sur l’incompétence territoriale.
La loi du 9 mars 2004, dite Perben II, a conforté cette évolution en créant des juridictions spécialisées à compétence territoriale étendue pour certaines formes de criminalité. Cette innovation législative témoigne d’une prise de conscience : la criminalité moderne, souvent transnationale ou itinérante, s’accommode mal des cloisonnements territoriaux traditionnels.
La Cour européenne des droits de l’homme a validé cette approche pragmatique, considérant dans l’arrêt Coëme c. Belgique du 22 juin 2000 que « l’attribution de compétence à une juridiction plutôt qu’à une autre ne saurait, en soi, porter atteinte au droit à un tribunal indépendant et impartial ». Cette position conforte la marge de manœuvre des autorités nationales dans l’organisation territoriale de leur système judiciaire.
Les enjeux contemporains de la compétence territoriale face aux nouvelles formes de criminalité
Les mutations profondes de la criminalité contemporaine bousculent les fondements traditionnels de la compétence territoriale des tribunaux criminels. L’émergence de formes délictuelles transcendant les frontières géographiques classiques impose une réinvention des cadres juridiques établis.
La cybercriminalité constitue l’illustration parfaite de ce défi territorial. Lorsqu’une infraction est commise dans le cyberespace, la détermination du lieu de commission devient problématique. La Cour de cassation a progressivement élaboré une jurisprudence adaptée à cette réalité nouvelle. Dans un arrêt du 14 décembre 2010, la chambre criminelle a considéré que « le lieu de commission d’une infraction commise sur internet peut être tant celui de l’émission des données litigieuses que celui de leur réception ». Cette théorie de l’ubiquité offre une flexibilité bienvenue face à des comportements criminels dématérialisés.
Le législateur a également répondu à ces défis en instaurant des règles spécifiques. L’article 113-2-1 du Code pénal, issu de la loi du 3 juin 2016, prévoit ainsi que tout crime commis par un Français hors du territoire national est réputé commis sur le territoire français lorsque la victime est de nationalité française. Cette fiction juridique étend considérablement la portée territoriale du droit pénal français.
La coopération judiciaire internationale face aux questions de compétence
L’internationalisation de la criminalité a rendu nécessaire le développement de mécanismes de coopération judiciaire internationale qui transcendent les questions traditionnelles de compétence territoriale :
- Les équipes communes d’enquête permettent aux autorités de différents États de mener conjointement des investigations
- Le mandat d’arrêt européen facilite la remise des personnes recherchées entre États membres de l’Union européenne
- Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein de l’Union européenne atténue les effets des frontières judiciaires
Face à la criminalité organisée transnationale, les juridictions spécialisées à compétence étendue se sont multipliées. En France, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), créées par la loi du 9 mars 2004, disposent d’une compétence territoriale élargie pour traiter les affaires d’une grande complexité. Cette évolution institutionnelle témoigne d’une adaptation pragmatique aux réalités criminelles contemporaines.
La question de la compétence territoriale se pose avec une acuité particulière pour les crimes contre l’humanité et autres infractions relevant du droit pénal international. La loi du 9 août 2010, adaptant le droit français au Statut de Rome, a consacré une compétence universelle conditionnelle des juridictions françaises pour ces crimes. Toutefois, cette compétence reste encadrée par des conditions restrictives, comme l’illustre la jurisprudence de la Cour de cassation dans l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville (arrêt du 9 avril 2008).
L’émergence de la justice pénale internationale, incarnée par la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux ad hoc, constitue une réponse supranationale aux limites inhérentes aux compétences territoriales nationales. Le principe de complémentarité qui régit ces institutions illustre la recherche d’un équilibre entre souveraineté des États et nécessité d’une répression efficace des crimes les plus graves.
Les technologies numériques offrent de nouvelles perspectives pour surmonter les contraintes territoriales. La visioconférence, désormais consacrée par l’article 706-71 du Code de procédure pénale, permet de recueillir des témoignages ou d’entendre des parties sans déplacement physique. Cette dématérialisation partielle du procès pénal constitue une réponse pragmatique aux difficultés liées à l’éloignement géographique.
Les évolutions récentes révèlent une tension persistante entre deux impératifs : maintenir un lien de proximité entre la justice et les justiciables, conformément à l’esprit originel des règles de compétence territoriale, tout en s’adaptant à des formes de criminalité qui ignorent les frontières traditionnelles. Cette dialectique continuera vraisemblablement d’animer les développements futurs du droit pénal territorial.
Perspectives d’avenir et réformes envisageables du cadre territorial de la justice criminelle
L’analyse prospective des évolutions du cadre territorial de la justice criminelle fait apparaître plusieurs axes de transformation potentiels. Ces pistes de réforme s’inscrivent dans un contexte marqué par la numérisation croissante des rapports sociaux et la complexification des phénomènes criminels.
La spécialisation accrue des juridictions criminelles constitue une tendance lourde qui pourrait s’accentuer. Le succès relatif des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) invite à envisager l’extension de ce modèle à d’autres domaines de la criminalité complexe. Une proposition formulée par le rapport Nadal sur la modernisation du ministère public suggérait la création de pôles judiciaires spécialisés en matière environnementale, dotés d’une compétence territoriale élargie. Cette évolution traduirait un glissement progressif d’une logique de compétence fondée sur le territoire vers une logique fondée sur la nature de l’infraction.
La dématérialisation des procédures constitue un autre vecteur de transformation des cadres territoriaux traditionnels. Le développement du dossier numérique de procédure, expérimenté depuis 2018, pourrait rendre moins prégnantes les contraintes liées à la localisation physique des juridictions. La visioconférence, dont l’usage a été considérablement amplifié par la crise sanitaire, questionne la nécessité d’une présence physique systématique des parties au procès pénal. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 janvier 2022, a toutefois rappelé que « l’utilisation de la visioconférence doit rester compatible avec les droits de la défense ».
Réformes structurelles envisageables
Plusieurs réformes structurelles pourraient être envisagées pour adapter le cadre territorial de la justice criminelle aux défis contemporains :
- L’instauration d’un mécanisme souple de dessaisissement au profit d’une juridiction mieux placée, inspiré du forum conveniens anglo-saxon
- La création d’un système de compétence modulaire permettant d’ajuster le ressort territorial des juridictions en fonction de la complexité des affaires
- Le développement de protocoles de coopération renforcée entre juridictions nationales pour les affaires présentant des ramifications territoriales multiples
La criminalité numérique appelle des réponses spécifiques. La création d’un pôle national de lutte contre la cybercriminalité, recommandée par plusieurs rapports parlementaires, constituerait une innovation majeure. Ce pôle, doté d’une compétence nationale, pourrait regrouper des magistrats spécialisés et des experts techniques capables d’appréhender efficacement des infractions dont la localisation géographique est souvent problématique.
Sur le plan international, le renforcement des mécanismes de coopération judiciaire apparaît incontournable. L’évolution du Parquet européen, opérationnel depuis juin 2021, pourrait préfigurer l’émergence d’autorités de poursuite supranationales dotées de compétences territoriales élargies. De même, l’extension du champ d’application du mandat d’arrêt européen et le développement de la décision d’enquête européenne témoignent d’une progressive européanisation de la justice pénale qui transcende les frontières nationales traditionnelles.
La question des conflits positifs de compétence entre juridictions nationales mérite une attention particulière. Le développement de mécanismes préventifs de coordination, sur le modèle d’Eurojust, pourrait éviter la multiplication de procédures parallèles pour des mêmes faits. La Cour de justice de l’Union européenne, dans l’arrêt Spasic du 27 mai 2014, a rappelé l’importance du principe ne bis in idem dans l’espace judiciaire européen, soulignant la nécessité d’une coordination efficace des poursuites.
Les réformes envisageables devraient toutefois préserver l’équilibre délicat entre efficacité répressive et garanties procédurales. Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, « le droit à un tribunal établi par la loi implique que l’organisation judiciaire ne dépende pas de la discrétion de l’exécutif, mais soit réglée par une loi émanant du parlement ». Cette exigence de prévisibilité constitue un garde-fou contre les risques d’arbitraire que pourrait engendrer une flexibilisation excessive des règles de compétence territoriale.
L’avenir du cadre territorial de la justice criminelle s’inscrit vraisemblablement dans une dialectique permanente entre le maintien d’un ancrage territorial garant de proximité avec les justiciables et l’adaptation aux formes contemporaines de criminalité qui transcendent les frontières traditionnelles. Cette tension créatrice continuera d’animer les évolutions législatives et jurisprudentielles dans ce domaine en constante mutation.