L’obligation de reclassement intra-groupe : enjeux juridiques et pratiques pour les entreprises

Face aux restructurations et aux difficultés économiques, l’obligation de reclassement intra-groupe constitue un mécanisme juridique fondamental qui encadre les licenciements économiques en France. Cette obligation impose à l’employeur de rechercher toutes les possibilités de reclassement du salarié au sein non seulement de l’entreprise, mais de l’ensemble du groupe auquel elle appartient, avant d’envisager une rupture du contrat de travail. Née de la jurisprudence et consacrée par le législateur, cette obligation s’est progressivement affinée pour devenir un pilier du droit social français, reflétant l’équilibre recherché entre nécessités économiques des entreprises et protection des droits des salariés face aux aléas du marché du travail.

Fondements juridiques et évolution de l’obligation de reclassement intra-groupe

L’obligation de reclassement intra-groupe trouve ses racines dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, dès les années 1990, a considéré que l’employeur devait étendre ses recherches de reclassement au-delà de sa propre structure. Cette construction prétorienne a ensuite été consacrée par le législateur, notamment avec la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, puis affinée par les réformes successives du droit du travail.

Le Code du travail, dans son article L.1233-4, pose le principe selon lequel le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. La notion de groupe a fait l’objet d’une définition légale avec l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui précise que le groupe est constitué par une entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle.

Cette évolution législative a été marquée par un double mouvement : d’une part, un renforcement des obligations de l’employeur en matière de recherche de reclassement et, d’autre part, une clarification des modalités pratiques de mise en œuvre de cette obligation pour sécuriser juridiquement les procédures.

La jurisprudence a joué un rôle déterminant dans la définition du périmètre de l’obligation. Dans un arrêt fondateur du 5 avril 1995, la Chambre sociale a considéré que les possibilités de reclassement devaient être recherchées à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel. Ce critère de permutabilité est devenu central dans l’appréciation du périmètre de recherche.

L’évolution récente du cadre légal

Les réformes initiées depuis 2016 ont substantiellement modifié le régime de l’obligation de reclassement. La loi Travail du 8 août 2016 a d’abord assoupli certaines modalités pratiques, puis les ordonnances Macron de 2017 ont redéfini le périmètre géographique de l’obligation de reclassement, en limitant celle-ci au territoire national sauf demande expresse du salarié pour un reclassement à l’international.

Ces évolutions législatives témoignent d’une volonté de concilier deux impératifs parfois contradictoires : la protection du salarié contre la perte d’emploi et la nécessaire adaptation des entreprises aux contraintes économiques. Elles s’inscrivent dans un contexte de mondialisation où les groupes d’entreprises connaissent des restructurations fréquentes et où la mobilité professionnelle devient un enjeu majeur.

  • Critère de permutabilité du personnel
  • Limitation au territoire national (sauf demande expresse)
  • Définition légale du groupe depuis 2017
  • Obligation préalable à tout licenciement économique

En définitive, l’obligation de reclassement intra-groupe s’est construite progressivement comme un compromis entre la liberté d’entreprendre et la sécurisation des parcours professionnels, reflétant l’évolution plus générale du droit du travail français vers une flexisécurité à la française.

Le périmètre du groupe : définition et enjeux pratiques

La détermination du périmètre du groupe constitue une question préalable fondamentale pour la mise en œuvre de l’obligation de reclassement. Jusqu’aux ordonnances de 2017, la notion de groupe n’était pas définie par le Code du travail en matière de reclassement, laissant à la jurisprudence le soin d’en préciser les contours.

Désormais, l’article L.1233-4 du Code du travail définit le groupe, pour l’application de l’obligation de reclassement, comme « le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L.233-16 du Code de commerce« . Cette définition renvoie donc aux notions de contrôle issues du droit des sociétés.

Cette approche juridique du groupe se distingue de celle retenue en matière de comité de groupe ou de licenciement économique, où prévalait une conception économique plus large. Elle se caractérise par trois critères principaux :

  • La détention de la majorité des droits de vote
  • Le pouvoir de nommer la majorité des membres des organes de direction
  • L’exercice d’une influence dominante en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires

En pratique, cette définition restrictive a pour conséquence de réduire le périmètre de recherche des possibilités de reclassement, en excluant notamment les entreprises entretenant des liens commerciaux étroits mais sans liens capitalistiques. La Cour de cassation a dû préciser cette notion dans plusieurs arrêts récents, confirmant l’application des critères du Code de commerce.

La dimension internationale du groupe

La question de l’extension de l’obligation de reclassement aux entreprises du groupe situées à l’étranger a connu une évolution significative. Avant 2017, la jurisprudence imposait de rechercher des possibilités de reclassement dans l’ensemble des entreprises du groupe dont les activités permettaient la permutation du personnel, y compris à l’étranger.

Les ordonnances Macron ont inversé cette logique en limitant l’obligation aux entreprises situées sur le territoire national, sauf si le salarié demande expressément à recevoir des offres de reclassement à l’étranger. L’employeur doit alors l’informer de cette possibilité, avec mention des restrictions éventuelles (contraintes légales ou conventionnelles).

Cette évolution traduit une volonté de pragmatisme, prenant en compte les difficultés pratiques rencontrées par les entreprises pour identifier des postes disponibles à l’international et les réticences fréquentes des salariés face à une mobilité géographique importante.

La permutabilité du personnel comme critère déterminant

Au-delà de l’appartenance juridique au groupe, le critère de permutabilité du personnel reste déterminant pour définir le périmètre effectif de l’obligation de reclassement. Selon la jurisprudence, cette permutabilité s’apprécie au regard de plusieurs facteurs :

La similitude des activités exercées par les différentes entreprises du groupe, l’organisation de ces entreprises (notamment en termes de gestion des ressources humaines), et la proximité géographique des établissements permettant une mobilité raisonnable des salariés sont des éléments pris en compte par les juges.

Dans un arrêt du 10 février 2021, la Chambre sociale a réaffirmé que la permutabilité du personnel s’apprécie au regard de l’ensemble de ces critères, et non de la seule similitude d’activité. Cette approche pragmatique vise à identifier les possibilités réelles de reclassement, au-delà des seuls liens capitalistiques.

Les groupes multinationaux doivent donc être particulièrement vigilants dans l’identification du périmètre pertinent pour leurs recherches de reclassement, en combinant l’analyse juridique du contrôle et l’appréciation concrète des possibilités de permutation du personnel entre les différentes entités.

Mise en œuvre pratique de l’obligation de reclassement

La mise en œuvre concrète de l’obligation de reclassement intra-groupe constitue un défi organisationnel majeur pour les entreprises, particulièrement dans les structures complexes. Elle s’articule autour de plusieurs étapes qui doivent être scrupuleusement respectées pour sécuriser la procédure.

La première étape consiste à identifier précisément le périmètre du groupe au sein duquel les recherches doivent être effectuées, en appliquant les critères légaux et jurisprudentiels évoqués précédemment. Cette cartographie préalable est fondamentale et doit être régulièrement mise à jour pour tenir compte des évolutions de la structure du groupe.

L’employeur doit ensuite procéder à un recensement exhaustif des postes disponibles au sein de ce périmètre. Cette recherche doit être effectuée de manière loyale et sérieuse, ce qui implique des démarches actives auprès des différentes entités du groupe. La Cour de cassation sanctionne régulièrement les employeurs qui se contentent de démarches formelles ou insuffisantes.

Les modalités de proposition des offres de reclassement

Depuis les réformes de 2017, les modalités de proposition des offres de reclassement ont été assouplies. L’employeur peut désormais, au lieu d’adresser des propositions individualisées, diffuser une liste des postes disponibles par tout moyen permettant de conférer date certaine.

Cette liste doit comporter des informations précises sur :

  • La nature des postes proposés
  • La qualification requise
  • La localisation
  • La rémunération
  • Les conditions de travail

Le salarié doit disposer d’un délai suffisant pour étudier ces propositions et manifester son intérêt pour certains postes. L’employeur procède ensuite à un examen individualisé des candidatures en fonction des compétences et de l’expérience des salariés concernés.

Cette procédure simplifiée vise à fluidifier le processus de reclassement tout en maintenant le caractère personnalisé de la démarche. Elle ne dispense toutefois pas l’employeur de son obligation de recherche active et loyale.

L’adaptation et la formation des salariés

L’obligation de reclassement ne se limite pas à la proposition de postes identiques à celui précédemment occupé par le salarié. L’employeur doit envisager toutes les possibilités de reclassement sur des postes de qualification équivalente ou inférieure, sous réserve de l’accord du salarié pour ce dernier cas.

Cette obligation inclut la mise en œuvre de mesures d’adaptation et de formation pour permettre au salarié d’occuper un poste différent. La jurisprudence considère que cette obligation d’adaptation s’apprécie au regard des capacités du salarié et des moyens dont dispose l’entreprise ou le groupe.

En pratique, l’employeur doit évaluer le potentiel d’adaptation du salarié et proposer, le cas échéant, des formations de courte ou moyenne durée permettant d’acquérir les compétences nécessaires. La Cour de cassation a précisé que cette obligation ne s’étend pas à une formation initiale ou qualifiante de longue durée.

La mise en œuvre effective de cette obligation d’adaptation suppose une connaissance précise des compétences des salariés concernés et des exigences des postes disponibles. Les entreprises ont donc intérêt à développer des outils de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle du groupe pour faciliter ces transitions.

L’ensemble de ces démarches doit être formalisé et documenté avec précision, l’employeur devant être en mesure de justifier, en cas de contentieux, de la réalité et du sérieux des recherches effectuées dans l’ensemble du périmètre pertinent.

Le contrôle judiciaire de l’obligation de reclassement

Le respect de l’obligation de reclassement intra-groupe fait l’objet d’un contrôle rigoureux par les juridictions prud’homales. Ce contrôle s’exerce tant sur la procédure suivie que sur le fond des recherches effectuées, avec pour conséquence des sanctions potentiellement lourdes en cas de manquement.

Les juges examinent en premier lieu le respect du périmètre de recherche. L’employeur doit démontrer qu’il a correctement identifié l’ensemble des entreprises du groupe auprès desquelles des recherches devaient être effectuées. Une erreur d’appréciation sur ce point constitue un manquement à l’obligation de reclassement susceptible d’entraîner la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le caractère sérieux et loyal des recherches est également scruté. La Cour de cassation considère que l’employeur doit procéder à des démarches actives et concrètes, et non se contenter d’une approche formelle. Ainsi, une simple demande générale adressée aux autres entités du groupe sans suivi ni relance a pu être jugée insuffisante.

L’appréciation des offres de reclassement

Les juges contrôlent la pertinence et l’adéquation des offres proposées au regard de la situation du salarié. Plusieurs critères sont pris en compte :

  • La correspondance entre les compétences du salarié et les postes proposés
  • Le niveau de rémunération et les perspectives d’évolution
  • Les contraintes géographiques et leurs conséquences sur la vie personnelle
  • Les mesures d’accompagnement proposées (formation, aide à la mobilité)

La jurisprudence sanctionne tant les offres manifestement inadaptées que l’absence d’offres alors que des postes étaient disponibles. Dans un arrêt du 17 mars 2021, la Chambre sociale a rappelé que l’employeur ne peut se contenter de proposer des postes qu’il sait inacceptables pour le salarié en raison, par exemple, d’un éloignement géographique excessif.

À l’inverse, le refus par le salarié d’offres de reclassement sérieuses et adaptées peut réduire le montant des indemnités accordées en cas de contentieux ultérieur.

La charge de la preuve et les sanctions

En matière de reclassement, la charge de la preuve pèse sur l’employeur, qui doit être en mesure de justifier des démarches entreprises et de leur caractère sérieux. Cette preuve s’appuie généralement sur la conservation méthodique des correspondances avec les autres entités du groupe, des réponses obtenues, et des propositions faites au salarié.

L’absence ou l’insuffisance de recherches de reclassement entraîne la qualification du licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec les conséquences indemnitaires qui en découlent. Pour les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins onze salariés, l’indemnité ne peut être inférieure à six mois de salaire.

Dans certains cas particuliers, notamment lorsque le manquement à l’obligation de reclassement s’accompagne d’autres irrégularités procédurales graves, le licenciement peut même être qualifié de nul, entraînant la possibilité d’une réintégration du salarié ou, à défaut, des indemnités plus substantielles.

Face à ce risque contentieux significatif, les entreprises ont intérêt à mettre en place une méthodologie rigoureuse de recherche et de documentation des efforts de reclassement, idéalement avec l’appui de conseils juridiques spécialisés pour les situations complexes ou les restructurations d’envergure.

Stratégies de prévention et bonnes pratiques pour les entreprises

Face aux exigences jurisprudentielles et aux risques contentieux liés à l’obligation de reclassement intra-groupe, les entreprises ont tout intérêt à développer des stratégies préventives et à adopter des bonnes pratiques. Ces approches proactives permettent non seulement de sécuriser juridiquement les procédures, mais favorisent l’identification de solutions de reclassement pertinentes.

La première recommandation consiste à établir une cartographie précise et actualisée du groupe au sens de l’obligation de reclassement. Cette cartographie doit identifier clairement les liens capitalistiques entre les différentes entités, en application des critères du Code de commerce, mais doit aller au-delà en analysant les possibilités concrètes de permutation du personnel.

Cette démarche peut s’appuyer sur un questionnaire détaillé adressé aux différentes entités du groupe pour recueillir des informations sur :

  • Les activités précises et les métiers exercés
  • L’organisation des ressources humaines
  • Les conventions collectives applicables
  • Les pratiques antérieures de mobilité interne

L’anticipation des besoins de reclassement

La mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle du groupe constitue un outil précieux pour anticiper les besoins de reclassement. Cette démarche permet d’identifier les passerelles possibles entre différents métiers et de préparer les évolutions nécessaires.

Les groupes les plus avancés dans ce domaine ont développé des plateformes numériques de mobilité interne, permettant de centraliser les offres d’emploi disponibles dans l’ensemble des entités et facilitant ainsi l’identification rapide des possibilités de reclassement en cas de besoin.

La mise en place de programmes de formation continue et de développement des compétences contribue également à renforcer l’employabilité des salariés et facilite leur adaptation à de nouveaux postes en cas de restructuration.

La formalisation des procédures de recherche

L’établissement de procédures formalisées et standardisées pour la recherche de postes de reclassement constitue une protection efficace contre les risques contentieux. Ces procédures doivent prévoir :

Un modèle type de demande à adresser aux entités du groupe, détaillant précisément les profils des salariés concernés et les informations attendues en retour (postes disponibles, qualifications requises, conditions d’emploi).

Un calendrier précis avec des délais de réponse raisonnables mais suffisamment courts pour ne pas retarder la procédure.

Un système de relance automatique en cas d’absence de réponse.

Un processus de validation et de contrôle qualité des offres proposées, pour s’assurer de leur pertinence et de leur adéquation avec les profils des salariés concernés.

La conservation systématique de l’ensemble des échanges et documents relatifs à cette recherche, constituant ainsi un dossier complet susceptible d’être produit en cas de contentieux.

L’implication des représentants du personnel

L’association des représentants du personnel à la démarche de reclassement peut constituer un facteur de réussite. Bien que non obligatoire, cette implication permet souvent d’améliorer la qualité et la pertinence des propositions.

Le comité social et économique (CSE) peut être consulté sur les méthodes et critères envisagés pour l’identification des postes de reclassement. Certaines entreprises vont jusqu’à mettre en place des commissions paritaires de suivi des reclassements, permettant un dialogue constructif sur les solutions proposées.

Cette approche participative présente l’avantage de renforcer la transparence du processus et peut contribuer à réduire le risque contentieux, les représentants du personnel étant en mesure d’attester de la réalité des efforts déployés par l’employeur.

En définitive, une approche préventive et structurée de l’obligation de reclassement intra-groupe permet non seulement de sécuriser juridiquement les procédures, mais constitue également un levier de performance sociale en favorisant la mobilité interne et la préservation des compétences au sein du groupe.

Perspectives d’évolution et défis futurs du reclassement intra-groupe

L’obligation de reclassement intra-groupe se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, confrontée à des mutations profondes du monde du travail qui remettent en question certains de ses fondements. Plusieurs tendances de fond laissent entrevoir des évolutions significatives dans les années à venir.

La transformation numérique constitue un premier facteur de changement majeur. Le développement du télétravail, accéléré par la crise sanitaire, redéfinit la notion de lieu de travail et pourrait élargir considérablement le périmètre géographique des possibilités de reclassement. Des postes auparavant inaccessibles en raison de leur éloignement géographique deviennent envisageables lorsqu’ils peuvent être exercés à distance, au moins partiellement.

Cette évolution pose la question de l’adaptation des critères jurisprudentiels de la permutabilité du personnel, traditionnellement liés à la proximité géographique. Les juges devront probablement faire évoluer leur appréciation pour intégrer ces nouvelles modalités de travail.

Parallèlement, les plateformes numériques de gestion des talents et des compétences facilitent l’identification des possibilités de reclassement à l’échelle d’un groupe, en permettant un appariement plus fin entre les profils des salariés et les postes disponibles.

L’impact des nouvelles formes d’organisation des groupes

Les structures organisationnelles des groupes connaissent elles-mêmes des mutations profondes, avec le développement de formes plus souples et plus complexes que le modèle traditionnel de la société mère et de ses filiales.

L’essor des réseaux d’entreprises, des franchises, des groupements d’intérêt économique ou des joint-ventures crée des situations où les liens économiques sont forts sans que les critères juridiques du contrôle soient nécessairement remplis. La définition légale du groupe issue des ordonnances de 2017, centrée sur les liens capitalistiques, pourrait ainsi se révéler inadaptée à ces nouvelles réalités économiques.

Certains auteurs plaident pour une approche plus économique et moins juridique de la notion de groupe en matière de reclassement, qui tiendrait davantage compte de la réalité des flux de personnel et des pratiques de mobilité entre entités. Cette approche reviendrait à privilégier le critère de permutabilité sur celui du contrôle capitalistique.

Les défis de la mondialisation et de la mobilité internationale

La limitation du périmètre de reclassement au territoire national, sauf demande expresse du salarié, introduite par les ordonnances de 2017, soulève des questions dans un contexte de mondialisation croissante.

Cette restriction peut paraître en décalage avec la réalité de groupes multinationaux où la mobilité internationale des cadres et experts devient une pratique courante. Elle crée une situation paradoxale où des salariés habitués à une carrière internationale se voient proposer uniquement des postes en France lors d’une procédure de reclassement.

À l’inverse, cette limitation peut être considérée comme une simplification bienvenue pour les PME appartenant à des groupes internationaux, pour lesquelles la recherche systématique de postes à l’étranger représentait une charge disproportionnée.

Un équilibre reste à trouver pour adapter le périmètre de recherche aux pratiques réelles de mobilité au sein de chaque groupe, plutôt qu’une approche uniforme qui s’avère inadaptée tant pour les salariés très mobiles que pour les entreprises de taille modeste.

Vers une flexisécurité renforcée ?

L’évolution future de l’obligation de reclassement intra-groupe s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’équilibre entre flexibilité pour les entreprises et sécurité pour les salariés.

Certaines voix plaident pour un assouplissement des obligations formelles pesant sur les employeurs, compensé par un renforcement des dispositifs d’accompagnement des transitions professionnelles. Cette approche s’inspirerait des modèles de flexisécurité développés dans certains pays européens, notamment scandinaves.

Dans cette perspective, l’accent serait mis davantage sur l’employabilité des salariés tout au long de leur carrière et sur des dispositifs mutualisés de sécurisation des parcours professionnels, plutôt que sur une obligation individuelle de reclassement pesant sur chaque employeur.

Cette évolution supposerait une transformation profonde de notre modèle social, avec un renforcement significatif des dispositifs de formation professionnelle et d’accompagnement des mobilités externes.

En définitive, l’obligation de reclassement intra-groupe devra nécessairement évoluer pour s’adapter aux mutations du travail et des organisations. Cette évolution devra trouver un équilibre entre la nécessaire protection des salariés face aux aléas économiques et l’adaptation des entreprises aux exigences de compétitivité dans une économie mondialisée et en constante transformation.